À la suite de travaux de voirie, un tombeau peint d’époque romaine a été mis au jour en novembre 2016 devant l’entrée de l’école du village de Bayt Ras, au Nord d’Irbid, en Jordanie. Cette découverte majeure s’ajoute à celle de nombreux vestiges antiques (tombeaux, théâtre, colonnade) qui témoignaient déjà de l’importance du site de l’ancienne Capitolias, cité de la Décapole fondée à la fin du ier siècle après J.-C. Depuis le printemps 2017, le Department of Antiquities (DoA) du Royaume hachémite de Jordanie a mis en place un consortium international formé d’experts jordaniens et étrangers pour mener à bien l’étude, la conservation et la publication du monument. Le travail se poursuit dans le cadre du Bayt Ras Tomb Project, qui bénéficie d’un programme d’aide au développement des États-Unis, SCHEP (Sustainable Cultural Heritage Through Engagement of Local Communities Project), hébergé à Amman par l’American Center of Oriental Research (ACOR). Il mobilise des chercheurs issus de deux laboratoires du CNRS (AOrOc, HiSoMA), de l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), ainsi que de deux instituts italiens, l’Istituto Superiore per la Conservazione ed il Restauro (ISCR) et l’Istituto Superiore per la Protezione e la Ricerca Ambientale (ISPRA).
Le nouveau tombeau de Capitolias, creusé à flanc de colline, est une découverte spectaculaire par la profusion de son décor et de ses inscriptions. Dans cet hypogée de 52 m2, composé de deux chambres funéraires et contenant un seul sarcophage de basalte, les parois intérieures et le plafond de la grande salle sont recouverts de peintures. La cité de Capitolias appartenait à la Décapole, une région qui, à l’époque romaine, regroupait les villes hellénisées du Sud-Est du Proche-Orient, entre Damas et Philadelphie (Amman en Jordanie). Si d’autres tombeaux peints romains ont été découverts dans la Décapole, dont certains offrent un fastueux décor mythologique, trois particularités rendent le tombeau de Capitolias exceptionnel.
D’une part, l’abondance des représentations, avec près de 260 figures, s’accompagne de scènes nombreuses qui composent un récit unique s’ordonnant sur trois parois, de part et d’autre du tableau central où est figuré un sacrifice offert par un prêtre aux divinités tutélaires de la cité et de la capitale provinciale de la Judée, Zeus Capitolin, la Tychè (ou Fortune) de Capitolias et celle de Césarée Maritime. Parmi les autres représentations de cet ensemble, un large tableau illustre un grand chantier de construction d’une muraille. De même, des figures des dieux de l’Olympe interviennent dans un grand nombre des scènes, d’où toute représentation proprement funéraire semble exclue. Une bonne partie des images sont profondément originales, dépourvues de parallèles. Plus habituelles, les scènes nilotiques et marines de la paroi d’entrée se poursuivent sur le plafond orné du zodiaque et des planètes autour d’un quadrige qui occupe le médaillon central.
D’autre part, plus de soixante inscriptions peintes en noir accompagnent les scènes de la vie du chantier. Contrairement aux légendes qui sont associées aux trois divinités trônant et qui sont rédigées en grec, elles ont la particularité, pour décrire les activités de construction, d’être rédigées en araméen, la langue locale, tout en utilisant des lettres grecques. Cette cohabitation et cette combinaison des deux principales langues du Proche-Orient romain est un phénomène très rare. Ici, l’araméen écrit en grec comporte tout naturellement des voyelles, ce que n’offrent pas les textes de la même époque écrits en caractères araméens. Ainsi, ces inscriptions fourniront une ample matière à des études sur cette langue et son évolution.
Enfin, l’analyse historique des représentations et des textes associés, grecs et araméens, pousse à voir dans cet hypogée peint l’illustration du mythe et des actes de fondation de la cité à la fin du ier siècle après J.-C., thème très inhabituel dans l’imagerie antique. En effet, et même si la divinité principale de Capitolias n’est autre que le Jupiter du Capitole, la nouvelle cité est de type grec, comme ses voisines de la Décapole. Ainsi, le personnage qui était enseveli dans ce tombeau et qui avait pu commander son décor a toute chance d’être celui qui s’est fait représenter en officiant dans la scène du sacrifice de fondation. On peut le présenter comme le fondateur de la cité.
Le nouveau tombeau peint de Bayt Ras est un document extraordinaire d’histoire religieuse, d’histoire politique et d’histoire sociale, en même temps qu’un très précieux témoin des interactions culturelles dans une ville grecque du Proche-Orient romain. Son exploration et sa restauration doivent se poursuivre dans les mois qui viennent. Les premiers résultats des études en cours feront l’objet d’une session spéciale lors du prochain congrès d’archéologie jordanienne, la 14th International Conference on the History and Archaeology of Jordan (ICHAJ 14), qui doit se tenir à Florence (Italie) en janvier 2019.
Une vidéo postée sur YouTube par SCHEP présente la découverte de ce monument exceptionnel.
Les recherches menées par l’équipe des Inscriptions de la Jordanie dans le cadre des activités consortium international formé par SCHEP pour étudier le tombeau ont fait l’objet d’une interview publiée en français dans la version en ligne de CNRS Le Journal (18.09.2018) et en anglais sur le site de CNRS News (09.21.2018).