L’épigraphie grecque et latine au Proche-Orient

Comme l’archéologie, avec laquelle elle a des rapports étroits, l’épigraphie est une discipline auxiliaire de l’histoire, ce qui signifie qu’elle traite d’une documentation qui constitue le socle des recherches historiques. Son objet est l’étude des inscriptions (ἐπιγραφαί, en grec), les textes écrits sur des supports durables, à la différence des papyrus et des manuscrits. Si la plupart des textes connus dans les langues grecque et latine sont gravés sur la pierre, il existe d’autres supports (métal, bois, terre cuite, etc.) et les mosaïques inscrites sont particulièrement nombreuses au Proche-Orient. En revanche, les tablettes en terre crue, supports de l’écriture cunéiforme, disparaissent à l’époque hellénistique.

L’épigraphiste est à la fois un historien et un linguiste. Il s’agit pour lui non seulement de déchiffrer, de restituer (c’est-à-dire de proposer des compléments aux parties disparues) et de traduire des textes, mais aussi de les replacer dans leur contexte (chronologique, géographique, littéraire, etc.) et dans la série des textes qui leur sont apparentés. À la différence des sources littéraires, issues d’une tradition manuscrite souvent complexe (avec des copies de copies), l’inscription est généralement un document original. Elle constitue donc une source primaire, irremplaçable pour l’historien et pour l’archéologue.

Les inscriptions connues permettent d’aborder quinze siècles d’histoire du Proche-Orient depuis l’arrivée d’Alexandre le Grand. La majorité date des périodes romaine (ier siècle av. J.-C.-ive siècle apr. J.-C.) et protobyzantine (ive-viie siècle apr. J.-C.), même si le nombre des textes de l’époque hellénistique (iiie-ier siècle av. J.-C.) n’est pas négligeable, tandis que l’usage du grec survit jusqu’au début de l’époque abbasside (viiie siècle apr. J.-C.), en particulier sur les mosaïques des églises. On trouve de nouveau quelques inscriptions grecques médiévales, aux xe-xiie siècles apr. J.-C., sur la côte syrienne, dans les régions concernées par ce qu’on nomme la Reconquête byzantine. Dans l’ensemble, les inscriptions grecques sont, de loin, les documents écrits les plus nombreux et les plus divers. Il n’y a pas de site important qui n’en ait livré au moins une ou deux, voire plusieurs centaines, comme Héliopolis (Baalbek), Tyr et Sidon au Liban, Gérasa en Jordanie, Apamée, Palmyre et Bostra en Syrie.

Les inscriptions latines sont nettement moins fréquentes. Elles apparaissent au ier siècle apr. J.-C. et disparaissent presque totalement après le ive siècle apr. J.-C. Hormis quelques villes comme Béryte (Beyrouth), où l’usage du latin était général, elles se rencontrent surtout sur des sites de garnisons.

L’état de la documentation disponible reflète en partie la situation linguistique du Proche-Orient. Pendant une longue période, le grec a été la langue officielle des monarchies hellénistiques, celle des Séleucides et des Lagides, les successeurs d’Alexandre le Grand, avant de se diffuser plus largement encore dans de nombreuses cités et localités sous l’Empire romain. Une partie de la population s’exprimait en grec au moins par écrit et a donc laissé des témoignages sur pierre dans cette langue. Sous l’Empire romain, le latin a également tenu un grand rôle, en particulier pour les textes officiels et dans certaines cités devenues précocement des colonies romaines (Béryte, Césarée maritime). Les inscriptions renseignent alors surtout sur ces cités, sur l’administration impériale et sur l’armée romaine.

À l’époque protobyzantine, l’abondance des inscriptions grecques dans les villages est un indice des progrès de l’hellénisme jusqu’à la fin de l’Antiquité, tandis que le latin tend à disparaître. Cependant, l’ensemble de la population ne se servait pas uniquement du grec et du latin. D’autres langues, surtout sémitiques, étaient parlées (sans aucun doute par la majorité de la population) et parfois écrites, mais elles restent minoritaires du point de vue épigraphique. Les inscriptions bilingues sont elles-mêmes un phénomène peu fréquent en Syrie et pratiquement inconnu avant l’époque romaine. Au Proche-Orient et dans l’Empire romain, il n’y a qu’à Palmyre que les deux langues d’usage local, l’araméen palmyrénien et le grec, sont utilisées concurremment dans les documents officiels aussi bien que privés.

Le cas de Palmyre rappelle que, parmi les langues utilisées au Proche-Orient à une époque où l’on grave surtout des textes en grec et en latin, la principale est l’araméen, dont les premières occurrences remontent au début du Ier millénaire av. J.-C. et dont les différents dialectes sont bien attestés à l’époque romaine (nabatéen au sud, palmyrénien dans la steppe et sur l’Euphrate, syriaque et hatréen en Mésopotamie). On trouve également des inscriptions phéniciennes (sur la côte et jusqu’à l’époque hellénistique), hébraïques et nord-arabiques (principalement safaïtiques, de la Palmyrène au nord de la péninsule Arabique). Enfin, les sources littéraires indiquent que d’autres langues (non sémitiques, tels l’arménien et le perse) et d’autres dialectes (de l’araméen et de l’arabe) étaient parlés.

Ce tableau, valable pour les trois premiers siècles de l’ère chrétienne, connaît quelques changements à la fin de l’Antiquité. L’époque protobyzantine est marquée par la raréfaction du latin, par l’émergence du syriaque, un dialecte araméen nord-mésopotamien, en Syrie du Nord, et par celle de l’araméen christo-palestinien, en Palestine et en Jordanie. C’est aussi la période où apparaissent les premiers textes en arabe classique, d’abord transcrits avec l’alphabet araméen (nabatéen), puis avec l’ancêtre de l’alphabet arabe actuel.